A fleur de peau
Le geste est sûr, avec son couteau fourreur, il semble découper la pièce de cerf aussi simplement que s’il traçait des lignes. Comme un magicien, il élimine les lames une à une, sans jamais se blesser. Le couteau de fourreur est souple, léger. Il est facile à manier. On a une certaine constance. Connaitre le sens, étaler la peau pour éviter tous les plis, mais au-delà, prendre possession de chaque millimètre carré. Il faut le voir saisir une dizaine de peaux sur les tréteaux, les arrondir pour les répartir en un souple éventail de veau bleu glacier. Il prend les patrons, cartons bleus pour les peaux, orange pour les doublures, avec l’aisance d’un maître. Marc B, trente-cinq ans d’expérience chez Hermès, a la virtuosité dans la peau.
Derrière son tablier en veau chocolat, il opère en véritable chirurgien des matières, éliminant les parties « flancheuses » pour ne garder que les plus nobles, centrales, sachant d’emblée ce qui donnera à un col, une manche, sa rondeur et sa netteté. De l’agneau à la chèvre, du veau au mouton Babylamb, chaque peau a son caractère, le cerf, lui évoque « les grains du caviar ». D’un père maroquinier, il a retenu la passion du bel ouvrage, celle qu’il a transmis lui-même à son fils, coupeur dans l’atelier depuis six ans…
Tout commence par le tri des peaux, permettant d’éliminer toutes celles qui auraient pu passer outre le contrôle qualité chez les tanneurs. L’imperfection, ce sont ces poils bloqués dans la peau, pas plus gros que des têtes d’épingle, et qui la font « cloquer ». Inadmissible chez Hermès, où pour un blouson, il faut environ 12 peaux rigoureusement identiques, tant au niveau du grain, que de la souplesse et de la nuance. Ici, on a le colorimètre dans les yeux, et l’esprit de Véronique Nichanian, directrice artistique de l’univers masculin, rayonne dans les mains de l’artisan : « Véronique aime ce qui est souple, naturel.
Tous les traitements sont faits dans ce sens. La peau n’est jamais trop couverte. On garde sa transparence », précise Mireille Le Roux, directrice des ateliers du prêt à porter masculin. Un travail d’autant plus délicat que la toile du modéliste ne garantit jamais le véritable rendu. Si celle-ci se tient, le cerf, lui fond, il se « vide ». Autant de détails qui donnent la mesure d’une véritable complicité entre le studio et les ateliers de Pantin, royaume de la force sensible. « Tout passe dans nos mains ».
Sans nostalgie, Thierry Mugler parvenait à faire vivre son imaginaire singulier, doué d’une culture sans frontières, photographe hors-pair ne reculant devant aucune limite, en haut du Chrysler Building à New York, sur les toits de l’Opéra de Paris ou dans une architecture soviétique. Ainsi aura-t-il été tout à la fois un homme de son temps et une figure inspirante, ouvrant la voie à un Alexander MacQueen ou à un John Galliano, et encourageant avec chaleur et force son ami Azzedine Alaïa.
Le musée des Arts décoratifs et l’ensemble de ses équipes saluent la mémoire de cette personnalité hors norme, qui reçoit un hommage pleinement mérité à travers l’actuelle exposition Thierry Mugler Couturissime, étape parisienne adaptée de l’exposition conçue par le musée des Beaux-arts de Montréal sous le commissariat de Thierry-Maxime Loriot, avec le soutien de la maison Mugler.
Aujourd’hui même, le musée a décidé d’ouvrir à titre exceptionnel l’exposition “Thierry Mugler Couturissime” de 14h à 21h en accès gratuit, sur réservation.