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Marie-Antoinette aménage les jardins de Trianon en deux phases distinctes. La première, à partir de 1777, correspond à la création du Jardin anglais. Dans un second temps, en 1783, elle demande à Richard Mique d’étendre le jardin vers le nord en y bâtissant un village autour d’un nouveau lac. Les travaux débutent à l’été 1783 pour s’achever en 1786. Le style du hameau de la Reine n’est pas clairement identifiable, fait d’un mélange d’architectures rurales variées, mais dégage une indéniable unité. Les chaumières sont disposées autour de la rive orientale du grand lac, comme un véritable décor en arc de cercle dont le point de vue idéal se situe de l’autre côté de la pièce d’eau.

Le HAMEAU, DE Marie-Antoinette à Marie-louise

La mode des jardins

En France, la vogue pour les jardins irréguliers ou « à l’anglaise », par opposition aux jardins réguliers dits « à la française », se développe à partir des années 1770. Ils sont aménagés sur des terrains accidentés, parcourus de cours d’eau sinueux et ponctués de « fabriques », pavillons d’agrément dont le style varie, à l’instar du goût de l’époque, entre référence à l’histoire, de préférence antique, ou à un exotisme plus ou moins lointain. Des allées permettent de ménager des vues sur le paysage environnant. L’esprit et l’esthétisme de ces créations empruntent à la fois aux écrits de Jean-Jacques Rousseau – en particulier au mythe du « Bon Sauvage » tel que décrit dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité entre les hommes (1755) ou à la vision d’une nature idéalisée dans Julie ou La Nouvelle Héloïse (1760) – et aux préoccupations physiocratiques du docteur François Quesnay, économiste théoricien d’une réorganisation de l’agriculture.

Le succès des jardins à fabriques

En 1783, lorsque Marie-Antoinette commence l’édification de son Hameau, l’idée n’est pas nouvelle. Déjà, en 1774, le prince de Condé fait bâtir dans le parc de Chantilly, par l’architecte paysager Jean-François Leroy, un village de fantaisie, appelé aussi « le Hameau ». Il se compose de plusieurs maisonnettes rustiques en colombages, de style normand, qui abritent un salon, un billard, une salle à manger, un moulin. Mais il en existe d’autres, par exemple au Raincy chez le duc d’Orléans, ou encore à Versailles, chez la belle-soeur de Marie-Antoinette, Madame Élisabeth, où l’architecte Chalgrin avait bâti douze maisonnettes disposées autour d’un étang. L’usage voulait que la surprise soit totale entre des extérieurs rustiques et des intérieurs princiers luxueux et raffinés.

À Chantilly par exemple, la grange cachait un salon aux pilastres corinthiens cannelés d’argent, avec des tentures de taffetas rose, le plafond étant peint d’amours dansant dans les nuages. Mais on trouvait aussi dans ce village idéal une véritable laiterie, une étable pour le troupeau des vaches, et un four à pain. Le prince pouvait ainsi se croire l’instant d’un dîner, au milieu d’un village peuplé de véritables paysans. Néanmoins ces Hameaux sont indissociables des jardins dans lesquels ils se trouvent et en sont le couronnement, la scène théâtrale d’où l’on peut admirer en toute quiétude les effets des frondaisons et des bosquets artistiquement disposés dans l’espace, et s’immerger dans une nature repensée, idyllique, prétendument vierge et pure de toute intervention de l’homme.

Les jardins de style anglo-chinois

Cette réflexion intellectuelle et morale s’est doublée d’une mode pour les jardins, venue d’Angleterre. À Kew, dans les environs de Londres, dès le milieu du siècle, l’architecte écossais Sir William Chambers avait créé un jardin exotique ponctué d’une pagode chinoise (1761). Il avait aussitôt connu une grande renommée tant cela apparaissait nouveau. Sa conception, mêlant habilement naturalisme et esthétique, essaima très vite à travers l’Europe, et la France ne fut pas en reste dans cette transformation totale du style des jardins. On vit ainsi surgir un peu partout des parcs dans le goût anglais nouveau, comme à Ermenonville, à Bagatelle, au parc Monceau, ou encore au Désert de Retz.  

Le projet d’une reine

Marie-Antoinette et le premier Jardin Anglais : le Jardin Champêtre Après la mort de Louis XV en 1774, le Petit Trianon devient le lieu de prédilection de Marie-Antoinette. Cadeau de Louis XVI, c’est la première fois dans l’histoire qu’une reine de France devient propriétaire. La jeune souveraine, elle-même gagnée à la mode des jardins anglo-chinois, décide alors de transformer ce domaine. Les orientations scientifiques et encyclopédiques des lieux jusque là dédiés par Louis XV à la recherche sont abandonnées. En véritable maître d’oeuvre, Marie-Antoinette décide de la plantation d’un nouveau jardin qui doit s’étendre à l’emplacement du jardin botanique et sur le terrain encore vierge au nord-est de celui-ci. La Reine demande d’abord un plan à Antoine Richard, qui a parcouru l’Angleterre et y a étudié les jardins. Elle n’approuve toutefois pas ses propositions et fait appel au comte de Caraman dont le jardin de Roissy est considéré comme un modèle. Elle demande aussi à Hubert Robert de créer des points de vue pittoresques et élégants sans  trop sacrifier au goût des fausses ruines.  

L’extension du Jardin Anglais : le Hameau de Trianon

À peine le premier Jardin anglais est-il terminé que Marie-Antoinette songe à l’agrandir encore vers le nord et à l’aménager dans le goût rustique. Au-delà d’une simple mode, elle souhaite créer un lieu où ses enfants seraient sensibilisés à l’agronomie, à l’élevage et à l’agriculture. Elle ordonne donc la construction du Hameau. Les travaux sont abondamment documentés par les mémoires conservés. Toutes les maisons du Hameau et leur implantation ont fait alors l’objet d’une étude préalable. En 1783, le peintre Châtelet exécute des tableaux et le maquettiste Féret, des modèles. Puis le sculpteur Deschamps réalise les modèles de détails en 1784 et 1785. Le Hameau est imaginé et organisé pour réserver les meilleurs points de vue en traversant les jardins depuis le Petit Trianon. Le village se déploie autour d’un lac artificiel.

D’un côté de celui-ci se trouvent les bâtiments dans lesquels la Reine et son entourage se rendaient. Une rivière enjambée par un pont rustique en pierre permet de rejoindre l’autre partie du village, composée des bâtiments utiles à l’exploitation du domaine. La mode des chaumières à surprises est ici parfaitement illustrée : les extérieurs sont campagnards et contrastent avec des intérieurs extrêmement raffinés. Les travaux commencent par le terrassement : l’entrepreneur Tardif dit Delorme trace les chemins, creuse les caves, le lac et les rivières durant l’été 1784. Les murs, en moellons et pans de bois, sont élevés en 1784 et 1785 par le maçon Peraud. Ils sont ensuite peints à l’huile et décorés « en vétusté ». Enfin, les chaumières sont couvertes en roseau par Gaumont.

Seules la Maison de la Reine, la Laiterie de propreté et le Réchauffoir reçoivent une couverture en tuiles, posée par Rivet. Les huisseries et charpentes extérieures sont peintes en vert olive, en jaune, parfois en blanc ou encore couleur bois. Les travaux se terminent en 1787, mais des transformations sont encore ponctuellement effectuées au Hameau jusqu’en 1790. Le Hameau de Trianon est alors composé de onze maisons. Cinq d’entre elles sont réservées à l’usage de Marie-Antoinette et de ses invités : la Maison de la Reine, le Billard, le Boudoir, le Moulin et la Laiterie de propreté. La Maison de la Reine abrite, au rez-de-chaussée, une salle à manger et à l’étage, un salon. Une galerie de bois la relie à la Maison du Billard qui se compose d’une salle de billard, et à l’étage d’un petit appartement de repos.

Quatre maisons sont ensuite destinées à l’occupation paysanne : la Ferme et ses annexes, la Grange, le Colombier appelé aussi poulailler et la Laiterie de préparation. Une maison est réservée à l’usage des domestiques : le Réchauffoir, voisin de la Maison de la Reine. C’est là que sont préparés les plats pour les dîners donnés au Hameau. Une maison sert enfin de logement au gardien des lieux. Chaque maison a son petit jardin. Ils sont plantés de choux pommés de Milan, de choux-fleurs et d’artichauts. Ils sont entourés d’une haie et clos d’un petit palis. Les rampes des escaliers, les galeries et les balcons sont garnis de pots de fleurs contenant jacinthes, quarantaines, giroflées ou géraniums. Sur les murs des maisons et les berceaux ombrageant certaines allées grimpaient des plantes odoriférantes, des vignes vierges et des espaliers. Une balançoire est installée en 1785 pour les enfants royaux, mais elle est rapidement démontée. En 1788, est aménagé un jeu de boules.  

 Un domaine qui traverse le temps

Le Hameau sous la révolution La Révolution survient alors que le Hameau est à peine achevé. Lors de son procès, Marie-Antoinette est si haïe, que les révolutionnaires ne retiennent que ce qu’ils veulent de son entreprise horticole idéale. Ils font du petit village un lieu de plaisir et de débauche, fantasmequi continue aujourd’hui de poursuivre la Reine dans l’imaginaire collectif. Les ventes révolutionnaires commencent dès 1794. Meubles, tables de marbre, miroirs, serrureries, tout est vendu, tandis que la Ferme est louée à un paysan. En 1796, le Hameau est attribué à un dénommé Langlois, qui transforme alors le Petit Trianon en hôtel et en restaurant.

On sert des rafraîchissements dans les jardins, on danse tous les décadis (jour férié de la semaine révolutionnaire), au Pavillon du Jardin français. C’est ainsi qu’en 1801 et 1802, au moment de la paix d’Amiens signée avec l’Angleterre, plusieurs anglais, tels qu’Henry Redhead Yorke ou Sir John Dean Paul, séjournent dans le petit château et laissent des témoignages de leur passage. Ainsi, l’artiste britannique, John Claude Nattes, réalise des dessins qui nous renseignent sur le mauvais état du Hameau à cette époque. Des habitants s’installent même sans autorisation dans les maisonnettes.  

Ouverture après restauration et remeublement de la maison de la reine

La Maison de la Reine ouvre ses portes au public le 12 mai 2018, grâce au mécénat de Dior. Située au coeur du Hameau construit par Richard Mique pour Marie-Antoinette, entre 1783 et 1787, la Maison nécessitait une restauration complète. Celle-ci a été accompagnée d’un remeublement, selon le plus ancien état historique connu, celui conçu pour l’impératrice Marie-Louise, seconde épouse de Napoléon Ier. Pour la première fois depuis deux siècles, les visiteurs pourront découvrir l’extrême raffinement du décor intérieur de la Maison, contrastant avec son apparence extérieure pittoresque et champêtre.

Une restauration indispensable selon les dispositions d’origine

La restauration de la Maison de la Reine et du Réchauffoir, situé à proximité, était devenue d’autant plus nécessaire que leur état de vétusté interdisait l’accueil du public. Le programme engagé depuis 2015 a porté à la fois sur un assainissement des ouvrages et sur une restauration complète des structures maçonnées, des charpentes et des couvertures. La consolidation structurelle autorise désormais les visites guidées. Les sols, menuiseries et peintures ont été repris selon leurs dispositions précisées par les mémoires de travaux du XVIIIe siècle, ou selon l’aménagement effectué au début du XIXe siècle pour l’impératrice Marie-Louise, petite-nièce de Marie-Antoinette.

La restauration du Réchauffoir – bâtiment annexe abritant cuisine et pièces de service (garde-manger, argenterie, dressoir, potager et four à pain) utilisé pour la préparation des repas servis dans la salle à manger de la Maison de la Reine voisine – permet d’évoquer le fonctionnement et la vie du Hameau sous l’Ancien Régime. La recomposition des jardins et des abords de ces bâtiments parachève l’opération. Les dispositions paysagères du Hameau sont rétablies comme dans les années 1930 : elles conjuguent l’état refait pour Marie- Louise en 1810 et quelques souvenirs des dispositions conçues pour Marie-Antoinette (l’escalier hélicoïdal, les jardins potagers …).  

Un remeublement exceptionnel

La restauration des décors intérieurs et le remeublement des pièces principales de la Maison de la Reine et de la Maison du Billard, qui lui est accolée, constituent un élément majeur de cette opération. Deux cents ans après la chute de l’Empire, les lieux retrouvent aujourd’hui leur raffinement conçu pour Marie-Louise et l’opposition souhaitée par les souveraines entre des dehors rustiques « en vétusté » et des intérieurs au luxe inouï. Maçons, menuisiers, charpentiers, chaumiers, électriciens, chauffagistes, peintres, jardiniers … de nombreux corps de métiers ont contribué à cette opération sous la conduite de Jacques Moulin, Architecte en chef des monuments historiques. Ébénistes, soyeux, passementiers, tapissiers, restaurateurs de textiles anciens, peaussiers, bronziers, sculpteurs sur bois, doreurs, autant d’artisans d’art ont concouru à cette réussite, sous la direction de Jérémie Benoît, conservateur général au château de Versailles, en charge des châteaux de Trianon. Les savoir-faire d’excellence des artisans d’art français sont ainsi, une nouvelle fois, mis à l’honneur.

Un nouveau musée

Depuis de nombreuses années la valorisation du domaine de Trianon est une priorité pour le château de Versailles. Débutés en 2008 au Petit Trianon, poursuivis en 2016 dans les appartements présidentiels du Grand Trianon et à la Maison de la Reine en 2018, la restauration et le remeublement complet de ces espaces permettent de mettre en lumière des lieux singuliers et évocateurs de l’intimité des monarques. Le château de Versailles invite ses visiteurs à ouvrir sans cesse de nouvelles portes.