jeu. Nov 21st, 2024

Un entretien avec Clothilde Morette, commissaire d’une remarquable rétrospective sur le photographe camerounais-nigérian Samuel Fosso. L’exposition, qui présente ses séries les plus audacieuses et les plus marquantes, se poursuit à la Maison européenne de la photographie jusqu’au 13 mars 2022.

Samuel Fosso est reconnu comme l’un des maîtres de l’autoportrait aujourd’hui. Qu’est-ce qui caractérise le plus, selon vous, son travail ?   
Le travail de Samuel Fosso mêle effectivement le médium photographique, la performance et le genre de l’autoportrait. Selon moi, sa capacité à se renouveler et à incarner des vies et des histoires multiples, est ce qui le rend si singulier. Qu’il soit dans la création de personnages, comme dans Tati, ou dans quelque chose d’extrêmement intime comme dans Mémoire d’un ami, série dans laquelle il rend hommage à un ami disparu, Samuel Fosso « travaille » en profondeur ses personnages. Une fois qu’il parvient à les saisir, il n’y a plus de distance entre eux et lui, il devient les personnes qu’il interprète. 

 

A travers ses différentes séries d’autoportraits, Samuel Fosso bouscule les stéréotypes liés au genre ou à l’identité. Peut-on dire que cela explique, en partie, la résonnance de son travail dans le monde d’aujourd’hui ?
C’est un point extrêmement intéressant en effet. Son travail porte en lui des réflexions sur les questions d’identités et qui sont essentielles, aujourd’hui, dans notre manière de penser le monde. Ses premiers autoportraits, qu’il réalise encore adolescent et va poursuivre jusqu’à ses 30 ans, s’affranchissent déjà des représentations classiques liées au genre. Il joue sur les notions de virilité et de masculinité avec une grande liberté. Par ailleurs, quand on l’interroge sur les personnages féminins qu’il incarne dans Tati, Samuel Fosso insiste sur le fait qu’il ne joue pas à être une femme, il devient cette femme grâce à la photographie. Et c’est peut-être quelque chose de très moderne et d’émancipateur, cette façon de jouer sur les codes identitaires sans même y penser, sans les théoriser, juste par plaisir et par désir. 

 

A l’instar de sa série « Tati », qui inverse la perspective avec sa réinterprétation des personnages archétypaux de l’imaginaire occidental, dans quelle mesure le travail de Samuel Fosso participe à une nouvelle lecture de l’histoire et du monde ? 
Je ne sais pas si l’on peut parler de « nouvelle lecture de l’histoire et du monde » parce que, ce que Samuel Fosso propose dans son travail, c’est finalement un regard sur le monde dont le prisme principal n’est pas occidental et nous n’y sommes en réalité pas tant habitués (ce qu’on peut déplorer). Samuel Fosso vit, depuis de nombreuses années maintenant, entre la Centrafrique, le Nigeria et la France. Il a exposé dans de multiples musées à l’international et, de ses multiples voyages ainsi que de cette vie partagée entre le continent africain et le continent européen, il a gardé une conscience très aiguë des relations de pouvoirs qui persistent et qu’il met en perspective dans son travail via l’image. 

 

Une des séries présentées à la Maison Européenne de la Photographie a été conçue avec la créatrice Grace Wales Bonner. Est-ce une illustration des liens forts entre le photographe et la mode ?
Particulièrement dans le travail de Samuel ! La mode, les vêtements, les accessoires, ce sont vraiment des éléments clés dans son travail. Ce n’est pas du tout superficiel. Quand il pense ses séries, les vêtements ont une part essentielle dans la construction des personnages. Il a un rapport très ludique et joyeux aux vêtements. D’ailleurs, avant la série réalisée avec Grace Wales Bonner, il avait fait une séance photo pour le magazine Vogue en 1999. Évidemment, il était à la fois le mannequin, le photographe et le directeur artistique ! 

Pour parler d’un point de vue plus général, à la MEP nous avons exposé de nombreux photographes qui ont un lien très fort à la photographie de mode comme Coco Capitán ou Ren Hang. Je pense aussi à Estelle Hanania qui m’expliquait que les photographies qu’elle réalise avec la mode nourrissent son imaginaire et inspirent son travail personnel.