Situé en rez-de-jardin, dans le corps central du château l’appartement du Dauphin est l’un des plus prestigieux de l’ancienne résidence royale. L’enfilade de l’appartement est constituée de pièces de plus en plus riches. Cette progression en majesté est, aujourd’hui, une invitation à rentrer dans l’intimité de la famille royale. Les trois pièces principales qui composent l’appartement du Dauphin, et qui ont été concernées par le chantier : la chambre, le grand cabinet, la bibliothèque, offrent une perspective unique sur les jardins. Elles sont respectivement situées sous la galerie des Glaces, le salon de la Paix et la chambre de la Reine.
Le grand cabinet du Dauphin
Lors de sa construction en 1668 par Le Vau, la salle d’angle était divisée en trois pièces distinctes : la chambre à coucher de Monsieur, le petit cabinet d’angle de Monsieur, et le cabinet de Madame. En 1693, Monseigneur obtint l’extension de son appartement et le décloisonnement de cet espace pour former le grand cabinet. Depuis lors, cette pièce fut traditionnellement réservée au Dauphin et servait de cadre de représentation luxueux. En 1747, lors du réaménagement de l’appartement pour le fils de Louis XV, son décor fut entièrement renouvelé, et à l’instar de la chambre attenante, les boiseries furent sculptées par Jacques Verberckt sur les dessins d’Ange-Jacques Gabriel et la cheminée en marbre brèche violette fut ornée de bronzes rocaille ciselés et dorés par Jacques Caffieri.
Le grand cabinet connut ensuite peu de modifications jusqu’aux aménagements du début du XIXe siècle réalisés lors de la transformation du château par Louis-Philippe. La pièce perdit alors une partie de son décor afin de permettre l’accrochage de toiles de grandes dimensions. Au tournant des XIXe et XXe siècles, l’aménagement muséal du grand cabinet fut supprimé afin de redonner au lieu son aspect perdu de pièce d’appartement d’Ancien Régime. Une corniche neuve fut mise en oeuvre en moulant la corniche du grand cabinet de Madame Victoire et une cheminée en marbre d’époque Louis XV fut replacée sur le mur est. De plus les dessus-de-porte de Jacques Verberckt furent déposés et remplacés par de nouvelles bordures de style rocaille encadrant des peintures de paysage, et les entre-fenêtres retrouvèrent leurs trumeaux de glaces, insérés dans des bordures simples, en dépit des fantômes visibles sur les parquets de glace de 1747.
Lors de la promulgation de la loi-programme sur les musées du 11 juillet 1978, une restauration et la poursuite de la restitution du grand cabinet du Dauphin dans son état d’Ancien Régime furent entreprises : remise en place d’un parquet de type Versailles, réinstallation de la cheminée d’origine, restauration des lambris d’appuis et des quelques lambris de hauteur restés en place sous Louis-Philippe, décapage des menuiseries, remise en place des dessus-de-porte. Durant cette période, la quincaillerie en bronze des XVIIIe et XIXe siècles fut également remise en état. En 2016, lors des travaux de mise en sécurité et en sûreté du corps central sud du château, la dépose des glaces de la pièce a permis de redécouvrir les quatre parquets de glaces des trumeaux d’entre-fenêtres créés en 1747, avec le fantôme des chantournés des médaillons qui agrémentaient ces ouvrages conformément aux dessins conservés d’Ange-Jacques Gabriel. On y distingue très clairement les traces des médaillons, de leurs ornements supérieurs et inférieurs, ainsi que des deux guirlandes qui partent de l’ornement supérieur pour rejoindre les oreilles de la bordure extérieure du trumeau. Cette découverte majeure pour les opérations de restauration a permis d’envisager la restitution des éléments disparus.
Le grand cabinet est la pièce d’angle située au centre de l’appartement. Le décor y a été entièrement renouvelé en 1747 avec le concours du sculpteur Jacques Verberckt, qui exécuta les boiseries rocaille. Seules la cheminée et une partie des panneaux sculptés subsistent aujourd’hui. C’est au tournant du XIXe siècle, lors de la transformation du château de Versailles en musée voulue par Louis-Philippe, que la pièce a connu les changements les plus importants. La majeure partie du décor fut alors déposée. Puis, en 1978, la loi-programme sur les musées a permis d’amorcer la restitution du grand cabinet dans son état Ancien Régime. Ce programme, resté inachevé, a été finalisé par la campagne de travaux menée depuis octobre 2020. En effet, l’alternance d’une partie des lambris d’origine et d’autres plus récents n’était pas le reflet de la composition voulue par Gabriel. Les éléments les plus structurants, tels que les trumeaux de glaces, les trumeaux d’entre-fenêtres et les grands panneaux en bois sculptés et dorés, étaient jusqu’ici manquants. Ils ont été restitués lors du chantier, après des recherches et des analyses précises. Avant la restauration qui vient de s’achever, le grand cabinet présentait un décor hétérogène et incohérent.
Cette pièce avait souffert des transformations menées dans les années 1830 puis d’une restauration inachevée dont résultait un mélange de lambris dans le goût rocaille, en grande partie authentiques, et de lambris simplement moulurés trop simplifiés. La mise en oeuvre incomplète de la dorure nuisait à l’harmonie, à l’équilibre et à la qualité du décor d’origine (un fond uni blanc peint à la colle sur lequel ressortaient les moulures, les bordures sculptées et les décors dorés à la détrempe). Par ailleurs, le grand cabinet n’atteignait plus la somptuosité des autres pièces de l’appartement du Dauphin contemporaines et adjacentes, et ne rendait pas justice au prestige de la salle imaginée par Ange-Jacques Gabriel. Cela constituait une véritable anomalie dans la séquence de présentation de l’appartement. Les travaux de restauration menés ont eu pour objectif de redonner une cohérence aux décors de la pièce, de renouer avec la richesse et la fonction initiale de ce salon, qui, conformément à la progression en majesté de l’appartement était, avec la chambre, les salles les plus riches et les plus remarquables.
L’intervention a rétabli les trumeaux de glace disparus selon le projet établi par Ange-Jacques Gabriel en 1747. Ce projet s’est fondé sur une analyse et des découvertes archéologiques précises. L’état sanitaire de la pièce étant relativement satisfaisant, l’intervention majeure a concerné les boiseries et leur dorure. Tous les cadrans d’imposte ont également été déposés et restaurés et les menuiseries, redorées en plein. Enfin, une opération importante a également concerné la cheminée, puisque l’un de ses ornements en bronze était manquant. Il a été restitué après la réalisation d’un modelage en terre, d’après l’agrafe symétrique, elle toujours existante. Des prototypes en bronze ont été créés afin d’y appliquer des essais de dorure afin de se rapprocher au mieux de l’état de l’agrafe existante. La cheminée retrouve ainsi, aujourd’hui, toute sa cohérence.
La bibliothèque du Dauphin
Cette petite pièce, la plus intime de l’appartement, adjacente au grand cabinet, est transformée en bibliothèque en 1755-1756. Elle conserve aujourd’hui encore la majeure partie de ses dispositions d’origine et de son décor dans le goût rocaille. Celui-ci est composé de guirlandes de fleurs, de dauphins et illustre la thématique des arts (trophées d’architecture et de peinture, putti dansants). Cet espace intime est une pièce unique et précieuse pour le château de Versailles. En effet, son décor polychrome, réalisé en 1756 selon la technique de la laque française, le vernis Martin, est la parfaite évocation de l’engouement pour les décors peints au naturel au milieu du XVIIIe siècle.
Lors de sa construction en 1668 par Le Vau, le volume occupé aujourd’hui par la bibliothèque du Dauphin, le cabinet particulier de la Dauphine adjacent et le corridor situé à l’arrière de ces pièces, accueillait l’antichambre de l’appartement de Philippe d’Orléans (1640-1701), frère de Louis XIV. En 1747, lors du réaménagement de l’appartement, cette pièce fut cloisonnée pour accueillir les cabinets de la Dauphine et du Dauphin, ainsi qu’un corridor d’accès. Moins de dix ans plus tard, le cabinet particulier du Dauphin fut transformé en bibliothèque en remployant quelques éléments de lambris, et les accès furent condamnés au profit d’étagères.
En 1789, la bibliothèque fut aménagée en chambre de veille, une alcôve fut alors mise en oeuvre et le passage vers le grand cabinet rouvert. En 1814, la bibliothèque devint la chambre à coucher du duc d’Angoulême, l’alcôve fut conservée et les boiseries changèrent pour la première fois d’harmonie, le blanc et bleu avec des fleurs « au naturel » laissant la place au blanc et or. Dans la continuité du rétablissement de l’aspect Ancien Régime du château, les menuiseries furent restaurées et décapées en 1898, les lambris furent repeints en blanc et bleu, la corniche ainsi que les bordures des dessus-de-porte et des glaces furent dorées. L’intervention qui relevait alors davantage de l’évocation que d’une véritable restitution, s’efforçait de retrouver l’harmonie à dominante bleue attestée par les archives. La principale erreur de cette intervention résidait dans son caractère hybride mélangeant les reliefs peints en bleu avec une dorure trop présente. Combiné au traitement uniforme en bleu des reliefs, l’effet ainsi obtenu était bien éloigné de celui voulu à l’origine.
Au XXe siècle, la bibliothèque subit de nombreuses campagnes de travaux basées sur des erreurs d’interprétation. En 1907, les lambris furent décapés et laissés en chêne apparent. Entre 1913 et 1922, des travaux de remise en peinture furent réalisés mais interrompus par la guerre. En 1953, l’alcôve aménagée fut supprimée dans l’objectif de retrouver les dispositions de 1755, mais, du fait d’une interprétation erronée, une niche fut restituée en s’inspirant de celles conservées sur les autres murs de la pièce. Entre 1960 et 1963, les lambris furent déposés et restaurés et une mise en peinture à la manière du vernis Martin fut effectuée suivant les tons supposés d’origine, retrouvés sur deux vantaux de porte déposés sous Louis-Philippe et redécouverts dans les réserves du château.
Les couleurs étaient le « bleu de Prusse » sur les parties moulurées et le « jaune jonquille » sur les fonds, cette dernière couleur étant, en réalité, un blanc que les vernis avaient fortement jauni en vieillissant. Dans le cadre de la loi-programme sur les musées du 11 juillet 1978, les fonds des boiseries considérés trop jaunes furent allégés dans un ton « jaune pâle » en supprimant les glacis et le vernis jaune appliqué en 1963. Cela a permis de se rapprocher davantage de la polychromie d’origine de la bibliothèque qui, rappelons-le, était blanche et bleu avec des ornements végétaux traités au naturel.
La restauration de la bibliothèque a porté notamment sur les lambris car l’étude des décors peints avait confirmé l’hypothèse d’une mauvaise interprétation lors de la précédente restauration, réalisée dans les années 1960. Le décor présentait donc un aspect jauni et altéré. Le fond a donc été repris pour rendre aux panneaux leur aspect porcelaine, blanc et bleu. La corniche en stuc, qui se trouvait dans un état sanitaire préoccupant, a été consolidée et repeinte.
La bibliothèque du Dauphin a conservé aujourd’hui la majeure partie de son décor et de ses dispositions d’origine :
• la cheminée chantournée en marbre griotte, les volets, les ébrasements et le panneau au-dessus de la croisée datent de la création du cabinet particulier du Dauphin en 1747, • la corniche en bois des lambris et les bordures des trumeaux de glace est et ouest sont en partie des remplois du décor de 1747,
• la corniche en stuc du plafond, les dessus-de-porte et les corps de bibliothèque vitrés datent du réaménagement de 1755. Cet ensemble offre au regard l’un des plus beaux exemples versaillais de décor dans le goût rocaille assagi, mesuré et symétrique. Si l’authenticité de la quasi-totalité des composants du décor est incontestable, il en est tout autrement du revêtement pictural des lambris de la pièce qui a été gratté en 1898 puis entre 1906 et 1907.
Toutefois, le ton « jonquille » appliqué dans les années 1960 sur les fonds des lambris, bien que fortement atténué en 1980 par un « jaune paille » très pâle, ne rendait malheureusement pas justice à l’association chromatique originelle : un fond blanc sur lesquels ressortaient les moulures et les motifs naturalistes sculptés rehaussés de bleu et de divers coloris, le tout vernis afin d’imiter l’éclat, la fraîcheur et l’intensité des couleurs de la porcelaine.
Si l’état sanitaire des lambris de la pièce s’était révélé bon, lors des études préalables à la restauration, celui de la corniche était très préoccupant : composée de plâtre et de silice, celle-ci était fragilisée par la présence d’un important réseau de fissures. Elle nécessitait donc une révision structurelle générale qui posait inévitablement la question du traitement de sa couche picturale et, par-là, la question du traitement général de l’ensemble du décor de la pièce qui devait être parfaitement unitaire.
Le projet mené a donc proposé une évocation de l’aspect d’origine, aucun vestige matériel ne subsistant et la perte du décor peint au naturel, en complément des ornements sculptés, étant irrémédiable. Les teintes et la composition chromatique ont été établies d’après les archives, mentionnant du bleu de Prusse, et par analogies avec le cabinet des poètes, contemporain, et le panneau de Crécy conservé au musée des Arts Décoratifs de Paris qui conserve son décor du XVIIIe siècle Toujours dans un souci de restitution de l’état complet de 1756, l’analyse archéologique des lieux a incité à déposer la niche datant des années 1960 au profit de la restitution des panneaux centraux selon le plan d’Ange-Jacques Gabriel.
La chambre du Dauphin
La chambre du Dauphin fut édifiée en 1668 lors des premiers travaux d’agrandissement du château entrepris par Le Vau. Jusqu’au XIXe siècle, elle connut différents aménagements. Ce fut l’ancien cabinet doré de Louis de France, dit « Le Grand Dauphin » ou « Monseigneur », dont le plafond avait été peint par Pierre Mignard et où le fils de Louis XIV exposait sa collection de tableaux. Ce fut plus tard le cabinet de travail du Régent qui y mourut le 2 décembre 1723. En 1747, lors du réaménagement de l’appartement du Dauphin pour Louis-Ferdinand de France et sa nouvelle épouse Marie Josèphe de Saxe, cette pièce fut agrandie et transformée en chambre à coucher.
Elle conserve aujourd’hui cet aménagement et ses décors : boiseries sculptées par Jacques Verberckt sur des dessins d’Ange-Jacques Gabriel, cheminée en marbre griotte enrichie des figures en bronze doré de Flore et de Zéphyr réalisées par Jacques Caffieri, et dessus-de-porte peints par Jean-Baptiste Pierre. Entre 1830 et 1837, la création des galeries historiques voulues par Louis-Philippe impliqua des transformations radicales : l’alcôve fut supprimée, la cheminée, les trumeaux de glaces et les boiseries furent enlevés, et toutes les surfaces murales ainsi libérées reçurent les tableaux enchâssés. À partir de 1946, les boiseries de la chambre furent restaurées ainsi que les dorures.
La pièce fut remise en peinture et remeublée en chambre à coucher évoquant la vie sous l’Ancien Régime. Lors de la loi-programme sur les musées du 11 juillet 1978, la pièce connut une nouvelle remise en état. Cette pièce, tout comme le grand cabinet et la bibliothèque du Dauphin, a fait enfin l’objet d’opérations entre 2016 et 2019, dans le cadre du chantier de mise en sécurité et en sûreté du corps central sud du château. Aujourd’hui, la chambre du Dauphin est une des pièces les plus riches et les mieux conservées des appartements du rez-de-jardin avec une grande partie de ses décors d’origine et avec ses hauts lambris et trumeaux de glaces en bois sculptés et dorés constituant un chef-d’oeuvre de l’art rocaille. Avant la restauration, l’aspect historique et esthétique de la pièce était satisfaisant. Néanmoins, depuis quarante ans, les décors s’étaient progressivement encrassés et avaient ponctuellement subi des dégradations.
Les travaux de restauration ont donc consisté en une simple remise en état de la pièce : dépoussiérage et nettoyage général des décors et des dorures avec reprise ponctuelle et remise en peinture de l’ensemble des fonds unis blancs des décors. Tous les cadrans d’imposte de la pièce ont été déposés et restaurés. Les menuiseries ont également été redorées en plein. Lors du réaménagement de 1747 pour le Dauphin, fils de Louis XV, la pièce fut décorée par les plus grands artistes de l’époque. Jacques Verberckt sculpta les boiseries sur des dessins d’Ange-Jacques Gabriel, Jean-Baptiste Pierre peignit les dessus-de-porte (des oeuvres toujours dans les collections du château de Versailles qui ont été replacées après la restauration), et Jacques Caffieri produit les bronzes sculptés.
Le réaménagement du château au XIXe siècle transforma la pièce dont une partie des décors fut déposée, afin que les murs puissent accueillir des tableaux enchâssés. Au XXe siècle, les boiseries et les dorures ont été restaurées, la cheminée, retrouvée en réserve, a été replacée et les éléments de boiserie remontés. Aujourd’hui, la chambre du Dauphin est l’une des pièces les plus riches et les mieux conservées des appartements princiers avec une grande partie de ses décors d’origine, chef-d’oeuvre de l’art rocaille. Les travaux ont pu redonner leur éclat aux lambris dorés, de très belle facture, qui souffraient d’encrassement et de lacunes. La restauration s’est attachée à nettoyer et à compléter les décors existants dans le respect des dispositions authentiques, et à les sublimer par une remise en peinture des fonds unis blanc de Roi.
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Pourtant, ces espaces ont connu, entre le XVIIe siècle et le XXe siècle, de multiples usages et aménagements qui avaient peu à peu altéré l’homogéneité des pièces et de leur décor. L’appartement du Dauphin, situé au coeur de la résidence royale, rouvre au public, à partir du 1er avril 2022, après plusieurs mois de restauration. Ce chantier majeur permet aujourd’hui à cet appartement prestigieux de retrouver toute sa cohérence et sa lisibilité. L’objectif de ces opérations était de se rapprocher de l’état des lieux connu au moment de l’installation du fils de Louis XV, en 1747. Cette restauration a été rendue possible grâce au soutien de plusieurs mécènes. La restauration a permis de se rapprocher de l’état des lieux connu dans les années 1740. À cette époque l’architecte Ange-Jacques Gabriel dirige le réaménagement de l’appartement princier attribué au fils aîné de Louis XV, le Dauphin Louis-Ferdinand.